La ville fonctionnelle
Le Corbusier, 1933
La ville et sa région
La ville n’est qu’une partie d’un ensemble économique, social et politique constituant la région. On ne peut envisager un problème d’urbanisme qu’en se référant constamment aux éléments constitutifs de la région et principalement à sa géographie, appelée à jouer dans cette affaire un rôle déterminant : lignes de partage des eaux, crêtes avoisinantes dessinant un contour naturel que confi rment les voies de circulation naturellement inscrites dans le sol. Aucune entreprise ne peut être considérée si elle ne se raccorde pas au destin harmonieux de la région. Le plan de la ville n’est qu’un des éléments de ce tout que constitue le plan régional. […]
Les immeubles de la ville moderne sont organisés autour d’espaces verts.
Habitations
La croissance de la ville dévore, au fur et à mesure, les surfaces vertes limitrophes sur lesquelles prenaient vue ses ceintures successives. Cet éloignement, toujours plus grand, des éléments naturels augmente d’autant le désordre de l’hygiène*. Plus la ville s’accroît, moins les « conditions de nature » y sont respectées. Par « conditions de nature », on entend la présence, dans une proportion suffisante, de certains éléments indispensables aux êtres vivants : soleil, espace, verdure. Une extension incontrôlée a privé les villes de ces nourritures fondamentales, d’ordre aussi bien psychologique que physiologique. […]
Plusieurs facteurs concourent au bien du logis. Il faut rechercher à la fois les vues les plus belles, l’air le plus salubre en tenant compte des vents et des brouillards, les pentes les mieux exposées, et enfin utiliser les surfaces vertes existantes, les créer si elles sont absentes ou les reconstruire si elles ont été détruites. […]
Il doit être tenu compte des ressources des techniques modernes pour élever des constructions hautes. […] Reste à déterminer, par un examen sérieux des problèmes urbains, la hauteur qui convient le mieux à chaque cas particulier. Concernant l’habitation, les raisons qui postulent en faveur d’une certaine décision sont : le choix de la vue la plus agréable, la recherche de l’air le plus pur et de l’insolation la plus complète, enfin la possibilité de créer à proximité immédiate du logis les installations collectives, locaux scolaires, centres d’assistance, terrains de jeux qui seront ses prolongements. Seules des constructions d’une certaine hauteur pourront satisfaire heureusement à ces exigences légitimes.
Les constructions hautes implantées à grande distance l’une de l’autre, doivent libérer le sol en faveur de larges surfaces vertes. […]
Loisirs
Tout quartier d’habitation doit comporter désormais la surface verte nécessaire à l’aménagement rationnel des jeux et sports des enfants, des adolescents, des adultes. […]
Les nouvelles surfaces vertes doivent servir à des buts nettement défi nis : contenir les jardins d’enfants, les écoles, les centres de jeunesse ou tous les bâtiments d’usage communautaire, rattachés intimement à l’habitation. […]
Travail
Les distances entre lieux de travail et lieux d’habitation doivent être réduites au minimum. Ceci suppose une distribution nouvelle, suivant un plan soigneusement élaboré, de tous les lieux consacrés au travail. Le rassemblement des industries en anneaux autour des grandes villes a pu être, pour certaines entreprises, une source de prospérité, mais il faut dénoncer les conditions de vie déplorables qui en ont résulté pour la masse. Cette disposition arbitraire a créé une promiscuité insupportable. La durée des allées et venues est sans rapport avec la course quotidienne du soleil. Les industries doivent être transplantées sur les lieux de passage des matières premières, au long des grandes routes d’eau, de terre ou de fer. […] Les secteurs industriels doivent être indépendants des secteurs d’habitation, et séparés les uns des autres par une zone de verdure. La cité industrielle s’étendra au long du canal, de la route ou de la voie ferrée, ou, mieux encore, de ces trois voies conjuguées. Devenue linéaire et non plus annulaire elle pourra, au fur et à mesure de son développement, aligner son propre secteur d’habitation, qui lui sera parallèle. Une zone verte séparera ce dernier des bâtiments industriels. Le logis, inséré désormais en pleine campagne, sera complètement protégé des bruits et des poussières tout en restant dans une proximité qui supprimera les longs trajets journaliers ; il redeviendra un organisme familial normal. […]
Circulation
Les rues doivent être différenciées selon leurs destinations : rues d’habitation, rues de promenade, rues de transit, voies maîtresses. Les rues, au lieu d’être livrées à tout et à tous, devront, selon leur catégorie, connaître des régimes différents. Les rues d’habitation et les terrains destinés aux usages collectifs réclament une atmosphère particulière. Pour permettre aux logis et à leurs « prolongements » de jouir du calme et de la paix qui leur sont nécessaires, les véhicules mécaniques seront canalisés dans des circuits spéciaux. Les avenues de transit n’auront point de contact avec les rues de circulation de détail, sauf aux lieux de raccordement. […]
* les risques pour la santé. ndlr
Le Corbusier est architecte. La charte d’Athènes, première édition en 1942 ; Points seuil, Paris, 1971, pages 20, 36, 48, 53, 60, 62, 70, 71 et 85.