La ville est archictures
Aldo Rossi, 1966
Permanence des édifices
Nous soutenons au contraire que la ville est quelque chose qui perdure à travers ses transformations et que les fonctions, simples ou plurielles, qu’elle remplit au cours du temps, sont des moments dans la réalité de sa structure. […]
Un fait urbain déterminé seulement par une fonction n’est pas utilisable au-delà du temps d’application de cette fonction ; en réalité, nous continuons d’utiliser des éléments dont la fonction est depuis longtemps perdue ; la valeur de ces faits réside par conséquent uniquement dans leur forme. Leur forme est partie intégrante de la forme générale de la ville dont elle est, pour ainsi dire, un invariant ; souvent ces faits sont étroitement liés aux éléments constitutifs de la ville, à ses origines, et on les retrouve dans les monuments. […]
On peut affirmer qu’avec un système donné de transports publics la forme de la ville n’est pas encore pour autant déterminée, ou qu’en tous cas un tel système peut être mis en place pour obtenir une certaine forme de la ville ou pour la suivre. Je ne crois pas que le métro d’une grande ville puisse faire naître des polémiques au-delà de la question de son intérêt technique, alors qu’on ne peut pas dire la même chose pour les installations résidentielles, qui font généralement débat, au sens où leur constitution en tant que faits urbains suscite la controverse.
Il existe donc dans le problème de la résidence un fait spécifique qui est étroitement lié au problème de la ville, à son mode de vie, à sa forme physique et à son image ; autrement dit, à sa structure. Cet élément spécifique ne concerne aucun type d’équipement technique, car celui-là ne constitue pas un fait urbain. […]
Un édifice historique peut être détaché de sa fonction originelle, ou bien présenter au cours du temps plusieurs fonctions, aux sens des usages auxquels il est destiné, sans modifier pour autant sa qualité de fait urbain générateur d’une forme de la ville. […]
La ville est d’abord constituée par ses édifices.
Nous pouvons affirmer que le caractère distinctif de toutes les villes, et donc aussi de l’esthétique urbaine, c’est la tension qui s’est créée et continue de se créer entre les aires et les éléments premiers, entre un secteur et l’autre ; cette tension est donnée par la différence entre les faits urbains existant
dans un lieu donné et elle doit être mesurée non seulement en termes d’espace mais aussi en termes de temps. […]
Je voudrais insister sur le fait qu’en prenant le point de vue de l’architecture, plus peut-être que d’autres points de vue, on peut arriver à une vision globale de la ville et donc comprendre sa structure. […]
J’ai essayé de montrer que cette théorie naît de l’analyse urbaine, de la réalité ; cette réalité contredit tous ceux qui croient que des fonctions prédéterminées peuvent à elles seules orienter les faits urbains et qui croient que le problème est seulement de donner forme à certaines fonctions ; en réalité ce sont les formes elles-mêmes qui en se constituant dépassent les fonctions auxquelles elles doivent répondre ; elles se posent comme étant la ville même.
Aldo Rossi est architecte. L’architettura della città, Marsilio editori, Padova, 1966 ; L’architecture de la ville, infolio éditions, Gollion, 2001, pages 53, 61, 89, 107, 119, 127, 150 et 160.