Des villes durables

Des villes durables

Richard Rogers, 1997
Immeuble d’habitation L’Outa, rue Docteur Paccard, Chamonix, 1966.

Environnement et société

Problèmes écologiques et problèmes sociaux ne sont pas dissociables. Les politiques qui visent à améliorer l’environnement peuvent aussi améliorer la vie sociale des citadins. Les solutions écologiques et sociales se renforcent mutuellement et permettent de construire des villes plus respectueuses de la santé, plus vivantes et plus ouvertes. Mais surtout, durabilité signifie qualité de vie pour les générations futures.

Mon approche de l’environnement durable réinterprète et réinvente le modèle de la « ville dense ». Il faut se rappeler pourquoi, au cours de ce siècle, ce modèle a été si catégoriquement rejeté. Les villes industrielles du XIXe siècle étaient l’enfer même : elles souffraient de surpeuplement, de pauvreté et de maladies. Des égouts à ciel ouvert propageaient le choléra et la fièvre typhoïde ; les industries toxiques côtoyaient des logements surpeuplés. En conséquence, dans beaucoup de villes industrielles de l’Angleterre victorienne, l’espérance de vie n’atteignait pas vingt-cinq ans. Ce sont précisément ces dangers et ces injustices fondamentales qui ont incité des urbanistes comme Ebenezer Howard en 1898 et Patrick Abercrombie en 1944 à proposer de désengorger les villes en relogeant les gens dans des environnements moins denses et plus verts : cités-jardins et villes nouvelles.

Aujourd’hui, au contraire, les industries polluantes disparaissent des villes du monde développé. Du moins en théorie, avec l’émergence de l’industrie « verte », de la production d’énergie et des systèmes de transports publics virtuellement propres, des systèmes perfectionnés d’évacuation des eaux usées et des déchets, il n’y a plus aucune raison de juger le modèle de la ville dense comme nocif. Cela signifie que nous pouvons considérer d’un autre œil les avantages sociaux de la proximité, redécouvrir les atouts de la vie en compagnie d’autrui.

La ville est à la fois édifices et territoire..

La ville compacte

Au-delà des avantages sociaux, le modèle de la « ville dense » peut apporter d’importants bienfaits écologiques. Planifiées de manière intégrée, les villes denses peuvent être conçues pour mieux utiliser l’énergie, moins consommer de ressources, moins polluer et ne pas se répandre sur la campagne. C’est pourquoi je crois que nous devrions approfondir l’idée de la « ville compacte » — une ville dense et socialement diversifiée où les activités économiques et sociales se recoupent et où les communautés sont regroupées autour de quartiers. Ce concept diffère radicalement du modèle urbain qui prédomine aujourd’hui, celui des États-Unis : une ville divisée en zones d’activités, avec des quartiers d’affaires en centre-ville, des centres commerciaux et de loisirs en périphérie, des banlieues résidentielles et des autoroutes. Cette vision de la ville est si puissante et les forces qui poussent à sa réalisation (forces mises en place par les critères des promoteurs obéissant aux lois du marché) sont si prédominantes que les pays moins développés sont maintenant engagés sur une voie qui a déjà trahi les pays développés. […]

Mais c’est la voiture qui a joué le rôle principal dans le travail de sape de la cohésion sociale de la ville. On estime à environ 500 millions le nombre de voitures qui circulent aujourd’hui à travers le monde. Elles ont détruit la qualité des espaces publics et encouragé l’étalement urbain. L’ascenseur a rendu le gratte-ciel possible et la voiture a permis au citoyen de vivre loin des centres-villes. La voiture a rendu viable le principe de la compartimentation des
activités quotidiennes, séparant bureaux, commerces et habitat. Et plus les villes s’étalent, moins il devient économique d’étendre leurs systèmes de transports publics et plus les citoyens deviennent dépendants de leur voiture. Les villes, à travers le monde, sont aujourd’hui réaménagées pour faciliter l’utilisation de la voiture, alors même que c’est elle, plus encore que l’industrie, qui génère la plus grande quantité de pollution de l’air, cette même pollution que les habitants des villes cherchent à fuir. […]

Villa du Parc (fin du XIXe – extension du début du XXIe siècle), rue de Genève, Annemasse

Déplacements

La création de la ville compacte moderne exige le rejet du développement monofonctionnel et de la suprématie de la voiture. Comment dessiner les villes où les collectivités prospèrent et où la mobilité s’accroît ; comment les dessiner pour que l’individu soit mobile, sans pour autant permettre à la voiture de saper la vie communautaire ; comment la dessiner pour favoriser et accélérer l’utilisation de systèmes de transport propres et redonner la rue aux piétons et à la collectivité ? Telles sont les questions auxquelles il nous faut aujourd’hui répondre.
La ville compacte aborde ces problèmes. Elle grandit autour de centres d’activités sociales et commerciales situés aux points d’interconnexion des transports publics. Ces derniers fournissent les pôles autour desquels les quartiers peuvent se développer. La ville compacte est un réseau composé de ces quartiers, chacun avec ses propres parcs et espaces publics et accueillant un large éventail d’activités publiques et privées qui se recoupent. La structure historique de Londres, faite de villes, de villages, de places et de parcs, est un exemple caractéristique du mode de développement polycentrique. Plus important encore, ces quartiers rapprochent emplois et équipements et les rendent aisément accessibles à la communauté ; cette proximité signifie pour chacun moins de trajets en voiture au quotidien. Dans les grandes villes, les Mass Transit Systems (systèmes de transit globaux) qui relient tous les centres des quartiers, permettent de traverser à grande vitesse la ville de part en part, abandonnant ainsi la desserte locale aux systèmes locaux. Ce système réduit le volume et l’impact du trafic de transit, qui peut ainsi être modéré et contrôlé, surtout autour du coeur des quartiers. Trams locaux, systèmes de transport ferroviaires légers et bus électriques deviennent ainsi plus efficaces, et circuler à bicyclette ou marcher devient un plaisir. Les embouteillages et la pollution se trouvent ainsi extrêmement réduits et le sentiment de sécurité et de convivialité des espaces publics s’accroît.

Les villes compactes durables pourraient, je l’affirme, redonner à la ville son statut d’habitat idéal pour les sociétés fondées sur la communauté. C’est un type de structure urbaine confirmé qui peut être interprété de multiples façons pour satisfaire toutes les cultures. Les villes devraient être l’expression des gens qu’elles abritent, des contacts directs, de la concentration du ferment de l’activité humaine, de la création et des cultures locales. Quel que soit le climat, tempéré ou extrême, dans les sociétés riches comme dans les sociétés pauvres, l’objectif à long terme du développement durable est de créer une structure flexible pour une communauté vigoureuse dans un environnement sain et non polluant. La proximité, l’offre d’espaces publics adaptés, la présence du paysage naturel et l’exploitation des nouvelles technologies urbaines peuvent fondamentalement améliorer la qualité de l’air et de la vie dans la ville dense. Autre avantage de la ville compacte, la campagne est ainsi protégée de l’empiétement du développement urbain. Je montrerai plus loin comment la concentration d’activités diverses, plutôt que le regroupement d’activités similaires, peut favoriser l’utilisation efficace de l’énergie. La ville compacte peut offrir un environnement aussi beau que celui de la campagne. […]

Je suis convaincu que la multitude d’approches probantes pour construire des communautés durables peut remédier à la folie et à l’ignorance dont on fait preuve aujourd’hui dans la construction des villes. Les forces financières et politiques qui poussent sans cesse au déclin de l’environnement et à la décrépitude de la vie en ville doivent être canalisées par des objectifs urbains durables du point de vue de l’environnement et socialement équitables. Pour y parvenir, la société va devoir exploiter la technologie et les communications modernes, impliquer ses citoyens et prendre à bras-le-corps la complexité de la ville contemporaine. Elle aura aussi besoin de croire que la beauté et la fierté civiques ont une valeur. Au lieu de bâtir des villes qui aliènent nos communautés et écrasent l’environnement il faut construire des villes qui les nourrissent.

La ville durable doit respecter à la fois la personne et l’environnement.

Richard RogersCities for a small planet, Faber and Faber, Londres, 1997 ; Des villes durables pour une petite planète, éditions Le Moniteur, Paris, 2000, pages 53 à 55 et pages 60, 62 et 87.

This is a unique website which will require a more modern browser to work!

Please upgrade today!