Coexistence de la Ville Nouvelle et de la Ville Ancienne
Colin Rowe & Fred Koetter, 1978
Des formes et des relations nouvelles
La question n’est pas de savoir si la ville traditionnelle est, en termes absolus, un bien ou un mal, pertinente ou pas, en harmonie ou pas avec le Zeitgeist (l’esprit du temps), ni de relever les défauts les plus voyants de l’architecture moderne ; c’est plutôt une question de bon sens et d’intérêts communs. Nous disposons de deux modèles de la ville. Finalement, puisque nous ne voulons les abandonner ni l’un ni l’autre, nous souhaitons les assouplir tous les deux. Car, à une époque qui se réclame de l’idée d’options multiples et d’intentions pluralistes, il doit être possible d’élaborer à tout le moins une stratégie de compromis et de coexistence. […]
Nous avons suggéré qu’au lieu d’espérer et d’attendre un éventuel dépérissement de l’objet (qui foisonne plus que jamais sous forme de produits manufacturés), il serait peut-être plus judicieux d’encourager son assimilation dans une texture ou une matrice dominante. Par ailleurs, nous avons suggéré que la fi xation à l’objet, la fi xation à l’espace, ne constituent plus en elles-mêmes des positions valables. Certes, l’une peut caractériser la ville « nouvelle », et l’autre la ville ancienne ; mais, si les deux modèles sont appelés à être dépassés — et non imités —, il faut espérer une situation où les bâtiments et espaces coexisteront dans un débat permanent entre égaux — débat où la victoire laissera indemne chacune des deux composantes. Il s’agit là d’une sorte de dialectique entre le vide et le plein, une reconnaissance du droit de cité à ce qui est explicitement planifi é comme à ce qui est authentiquement non planifi é, aux compositions formelles comme aux fruits du hasard, au public comme au privé, à l’Etat comme à l’individu — bref, un équilibre éclairé ; et c’est pour souligner les possibilités d’un tel débat que nous avons abordé quelques stratégies rudimentaires. Métissage, assimilation, déformation, défi , riposte, impératif, surimpératif, conciliation […].
En aucun cas l’action ne peut attendre qu’un problème soit idéalement formulé ; la possibilité même de cette formulation idéale fait que l’action est toujours imparfaite, et le bricolage, qui joue un rôle si important en politique, devrait certainement le faire aussi en urbanisme.
En effet, si nous sommes prêts à reconnaître que les méthodes de la science et du bricolage sont complémentaires, qu’elle constituent deux manières d’aborder les problèmes, et qu’il y a égalité entre la pensée « civilisée » (qui présuppose une sérialité logique) et la pensée « sauvage » (avec ses sauts analogiques) — la dernière concession est la plus difficile —, il se pourrait même que l’on puisse alors ouvrir un chemin à une dialectique vraiment utile pour l’avenir.
La juxtaposition d’édifices anciens et contemporains produit la vitalité de la ville.
Les immeubles d’habitation du début du XXe siècle donnent forme aux îlots.
Un débat permanent
Nous proposons de prendre en considération les possibilités qu’offre ce conflit sublimé qu’est le débat ; et s’il y a un besoin urgent en renards et en bricoleurs, peut-être devons nous ajouter qu’il ne s’agit en aucun cas de sauvegarder la démocratie dans le monde. Ce n’est pas tout à fait autre chose, mais ce n’est pas cela non plus. Il s’agit plutôt de sauvegarder la ville (et donc la démocratie) au moyen de métaphores généreuses, de pensées analogiques, d’ambiguïtés ; et face au scientisme, au laisser aller prévalent, il est toujours possible que cela permette une réelle survie par le design. […]
Puisqu’il s’agit bien évidemment d’une proposition adressée au peuple, c’est en termes de plaisirs dont on se souvient et qu’on désire éprouver, de dialectique entre le passé et le futur, de concaténation de contenus iconographiques, de collision à la fois spatiale et temporelle que nous pourrions (pour reprendre notre argument) commencer à définir la ville idéale.
Colin Rowe et Fred Koetter sont théoriciens de la ville. Collage City, Massachusetts institute of technology, 1978 ; Collage City, infolio éditions, Gollion, 2002, pages 99, 118, 154, 156 et 183.